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Journal de guerre de Jean Bousquet 1914-1919. Cliquez ici pour voir tous les messages les uns sous les autres...
10 avril 2014

44 - Organisation

  Pour ce qui était de déjeuner, ce n'était pas chose très compliquée du point de vue du repas, mais pour aller le chercher c'était autre chose. Les quelques hommes qui allaient la nuit à Moulinville au rassemblement des cuisines roulantes, y allaient bien entendu par tous les temps et Dieu sait s'il pleuvait et neigeait en mars. De plus les obus lacrymogènes se faisaient un malin plaisir de venir éclater dans nos parages. Plus d'une fois la "tambouille" s'étalait à terre en même temps que le poilus chargé du ravitaillement. Les seaux de pinard arrivaient à destination à moitié vides, alors c'était le grand désespoir des poilus des tranchées. Pas de tabac et pas de pinard rien ne va plus. Nous étions très limité comme vin, le ravitaillement au début de Verdun était très difficile. Tout devait passer les ponts de la Meuse, le munitions, les canons et il en passait, des troupes puis des vivres ; pour que tout le monde en ai sa part cela représentait bien de l'organisation et des mouvements à l'arrière. Bref comme repas nous avions du rata (viande cuite avec des pommes de terre), le tout arrosé par la pluie et assaisonné de terre. Les bouteillons ou marmites nous arrivaient froids. Nous en faisions deux parts et la première était réchauffée au moyen d'alcool solidifié que nous avions. Comme pinard nous avions environ un quart pour toute la journée, les poilus en auraient bien bu trois ou quatre sans se gêner par repas, aussi il nous fallait le ménager. Pour cela il ne fallait pas le boire au quart* mais à la peau de bouc* d'où le vin sortait par un petit filet, comme les autres j'avais ma peau de bouc qu'un permissionnaire m'avait rapporté du fin fond des Landes.

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Le pinard

 D'autres poilus s'étaient installés dans des petits abris à côté du mien. Même trois agents de liaison avaient eux aussi à leur tour abandonné l'abri du Commandant. chaque fois qu'on se levait l'on était certain de donner un coup de tête dans un des gros troncs d'arbres couchés qui servaient de plafond. le casque encaissait le coup, mais s'enfoncait jusqu'aux oreilles ou alors il fallait rester plié en deux tout le temps. De plus tous les coups de canons, départs des nôtres ou arrivées des  boches résonnaient à 'l'intérieur de l'abri d'une façon assourdissante. Mes nouveaux voisins passaient leurs moment de repos à jouer aux cartes. Un jour un obus arrive en avant de notre tranchée et vient éclater bien en dessous d'eux ; la terre étant humide il y était pénétré comme dans du beurre ; ils ont été secoués, je les ai dégagés dans un nuage de fumée, je les croyais déjà tous morts, mais aucun d'eux n'avait eu de mal. Ils étaient noirs comme des charbonniers, leur trou avait besoin d'être consolidé, presqu'aussitôt un autre obus (un  77) arrive et tombe de nouveau à côté de nous sans éclater!

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1916 - Commandant du mesnil devant le P.C. à droite de Moulainville

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                          Adjudant Papin - Carbonel - Richard - Bousquet un peu plus au fond.

 Le Commandant du Mesnil est malade. Je passe la nuit à côté de lui. Nous demandons au "toubib" de venir, mais le pauvre homme n'aimait pas entendre les obus. Aussi apprenant que le Commandant saigne du nez en abondance sans arrêt il nous fait parvenir du coton hydrophile pour essayer d'arrêter cela, mais au premier obus le saignement reprend de plus bel. Au petit jour le Commandant reçoit l'odre de descendre vers Moulinville. A partir de ce moment là nous ne le voyons plus. Il est évacué et remplacé un peu plus tard par un "as".

 Nous restions une dizaine de jours en lignes et une dizaine de jours au repos dans un bois à proximité du Fort de Moulinville. Là nous nous sommes installés dans des baraques que nous faisions et petit à petit nous les rendions plus confortables. Les obus venaient de temps en temps nous rendre visite. D'une relève à une autre nous trouvions du changement, aussi bien dans les travaux que l'autre Bataillon faisait en notre absence qu'en travaux fait par les obus. Un matin, après une relève de nuit, je vois bien des choses suspendues aux branches des arbres devant notre cabane après examen et le jour se levant, je constate que ce sont des morceaux de mulets, des pattes, des têtes avec des lambeaux de peau qui pendent aux arbres! Un obus "tait venu la veille tomber au milieu des mulets de la 5° Mitraille en tuant et blessant une dizaine.

 De Moulinville que j'eus l'occasion de voir depuis notre départ, il ne reste plus grand chose, toutes les maisons sont écrasées, les rues n'existent plus, tout au moins l'on a fait des sentiers au milieu des tas de . La maison du Colonel est comme les autres, il s'est installé dans une cave organisée par les sapeurs, de grosses poutres renforcent le plafond, les pierres de la maison au dessus servent de pare éclats. Je descends dans cette cave, on se serait cru dans une chapelle ardente d'un enfant! Tous les murs étaient tendus de draps blancs sauvés des armoires, toutes les poutres étaient dissimulées, des bougies éclairaient les occupants.

 Nous remontons toujours dans notre secteur, les boches marmitaient toujours de tous côtés. Le Fort de Moulinville n'était jamais oublié, le pays non plus, ni les villages que nous pouvions voir sur notre droite. Un jour le Commandant du Mesnil était encore avec nous et qu'un bombardement des plus violents se déclanche à droite vers le 344° R.I. ceux-ci font crépiter leurs mitrailleuses, nos canons appuient le tir, bref un tintammarre à tout casser, le Commandant me demande d'aller voir ce qui se passe par là-bas. Des obus arrivent vers nous, je sors de la tranchée et m'élance. j'entends aussitôt le Commandant me crier de sa forte voix au milieu du vacarme "surtout fais attention à ton appareil de photo". Je suis obligé à plusieurs reprises de faire un plat ventre sans m'occuper des trous d'eau et de la boue, des 77 arrivent, je repars, des poilus sortent leur t^tete des tranchées derrière lesquelles je passe en courant et se tordent de me voir filer au milieu des sifflements d'obus. La neige se met à tomber, je ne vois plus rien, j'arrive au 344°. " Ce n'est rien, juste une alerte, les boches avaient essayé un coup de main sans réussir..." je reviens et suis blanc et noir (de neige er de boue), il ne fait pas chaud. Dans mon trou comme nous ne pouvions pas nous déchausser, je m'enfonce les pieds avec mes brodequins dans des sacs à terre remplis de paille.

 

Pinard : Lire ce document ICI

Pour les plus jeunes : Un quart est un gobelet en métal pouvant contenir un quart de litre: Voir ici

Peau de bouc :Voir ICI  OU LA

 

 

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