45 - Camp Joffre

 Nous apprenons qu'au cours d'un bombardement sur Moulinville, le Colonel est grièvement blessé par un gros éclat d'obus. Peu de jours après nous apprenons sa mort. Nous venions de perdre deux bons chefs. (Le Cdt Du Mesnil et lui).

 Dans mon trou je ne savais que faire dans la journée, j'allais bien voir de temps en temps les hommes des Compagnies en ligne, je surveillais les bombardements ou les évolutions des avions. Dans un colis que je viens de recevoir en ligne, il y avait des allumettes cachées dans un étui métallique de savon à barbe, je pouvais donc allumer ma bougie le soir et ma petite boite de conserve remplie d'alcool solidifié pour faire ma "cuisine". Il y avait aussi un petit pinceau et 3 ou 4 couleurs d'aquarelle avec un bloc. Je me mets donc à essayer de peindre, je fais fondre un peu de neige et je cherche un sujet !! je n'avais jamais fait d'aquarelle en plein air. Enfin j'occupe mon temps tant bien que mal.

 Les boches bombardent le village de Chatillon sur notre droite où était le 344, un premier obus tombe sur un abri écrasant tous les occupants, les obus incendiaires arrivent en rangs serrés, le village est en feu, l'église le domine encore au milieu des flammes des éclatements, de la fumée, ça craque : ce sont de gros fusant qui éclatent au dessus du carnage, pendant un long moment tout ce coin est rouge à la base, plus blanc et noir de fumée et au-dessus, les 155 fusant font de nuages ronds jaunes, pendant ce temps là je faisais ma première aquarelle d'après nature sur la première page de mon bloc.

Bombardement par les boches de Chatillon sous les Côtes - 10 avril 1916 -

Obus incendiaires et fusants. A gauche route D'Eix à Chatillon. Au fond Watronville. A droite direction du fort des Rozeliers.

 Un nouveau Commandant nous arrive, il n'a pas l'air martial de Commandant du Mesnil, il parle peu, il ne bouge pas de son trou, il n'a pas l'air brave, d'où vient-il ?...du 344 de Bordeaux où il était comme Capitaine Adjudant Major. Pourtant il a une Croix de Guerre avec plusieurs étoiles...cela nous semble étonnant. Un officier vient faire sa connaissance et profite d'une accalmie pour rester un moment avec nous. Il cherche à faire parler le nouveau Commandant, celui-ci sans détour, mis presque au pied du mur lui dit "comme j'étais capitaine Adjudant Major au 344 chaque fois que le régiment avait une citation ou qu'il y avait une petite action réussie par un Bataillon, il y avait des citations . On nous en donnait à nous aussi au bureau du Colonel3, nous savions aussitôt à qui nous avions affaire, le Commandant Lavelle fût aussitôt appelé "le ciel étoilé", son ruban de Croix de Guerre avait au moins 3 ou 4 étoiles! ce qui était beau au début de 1916, à côté la Légion d'Honneur n'était pas oubliée, gagnée de la même façon probablement.

Bombardement du 13 au 14 avril 1916 en direction de Moulinville Basse et vers Eix.

Les lueurs rouges sont les éclatements d'obus de gros calibres, faisant tout trembler. Les points rouges et verts sont les fusées pour demander l'artillerie française et pour allonger le tir. les étoiles blanches sont les fusées éclairantes.

 Au repos dans le bois près de Moulinville, appelé Camp Joffre, je fais avec trois agents de liaison un trou avec des pioches dans du rocher. Nous travaillons du matin au soir pendant tout le repos pour recommencer au repos suivant. J'avais les mains calleuses, les bras ébranlés par la résistance du sol. Bref nous arrivons à descendre près de 2 mètres, la tranchée est étroite pour pouvoir la couvrir avec des troncs d'arbres que d'autres vont chercher avec des mulets au moyens de chaînes. Les rondins sont traînés jusqu'à nous. Ils sont mis en travers sur plusieurs hauteurs et placés comme des biscuits sur une assiettes, un rang dans un sens, un rang dans l'autre avec par dessus de grosses pierres comme pare-éclats. Nous quittons notre baraque en planches qui avait déjà reçue plusieurs fois des obus et allons prendre possession de notre abri canon. Mais nous ne comptions pas sur notre Commandant qui s'empresse de nous dire qu'il le prend et nous charge d'en faire un autre pour nous! Nous n'étions pas contents. Par la suite nous avons vu à nos dépends que le Commandant pratiquait toujours ainsi, il était toujours à la recherche d'abris plus profonds que le sien et il m'est arrivé quelques mois plus tard d'être délogé d'un trou par lui et de plus, faire venir une équipe du génie pour faire un nouvel abri en dessous du premier trou, qu'il trouvait insuffisant. Pour en revenir au Camp Joffre, j'ai dû commencer sur ses ordres un nouvel abri canon, mais cette fois bien à contrecoeur. Quand nous étions relevés par le 5° Bataillon, les travaux se continuaient et cette fois il y avait plus de travailleurs. c'était un travail commandé et non plus un travail volontaire. Ce nouvel abri devait servie pour toute la liaison, mais je crois que nous n'en avons jamais profité. Au grand désespoir du Commandant il nous est arrivé souvent de nous empiler en vitesse dans son trou quand les obus venaient nous surprendre. J'y ai même transporté un pauvre type avec l'aide d'un agent de liaison, il venait de recevoir un éclat d'obus dans le dos. Le Commandant ne disait rien tant que le tir était proche et nous ne nous occupions pas de lui, il n'existait pas pour nous quand il y avait un coup de chien, mais il savait se rattraper ensuite, soit au repos aux péniches ou dans un coin paisible. Alors on le voyait aller et venir et donner des ordres d'un ton sec qui ne permettait pas de réplique. Pour les gens de l'arrière il passait pour un Guerrier en voyant sa Croix de Guerre. Les Officiers l'avaient appelé "Léonidas" et tous connurent rapidement son héroïsme au feu.

3 AVRIL 1916

Culot d'obus de 380 venu tomber à nos côtés. Au 1er plan Richard, tué en 1918 et au 2e plan Roux, tué en 1916.

La liaison autour du capitaine Derolles de Montpellier.

14 Mars 1916

Comments

[Germaine]

superbe, quel beau travail, et que de belles émotions !

Et ce sont des choses qu'on ne pourra pas oublier......

Félicitations accompagnées de toute mon affection