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Journal de guerre de Jean Bousquet 1914-1919. Cliquez ici pour voir tous les messages les uns sous les autres...
17 janvier 2015

72 - Vaux-Chapitre - L'attaque du 3 septembre

  En fin de journée un avion français, un biplan qui devait surveiller le tir de nos pièces est entouré d'éclatements d'obus boches. Il survole nos lignes, puis descend à une centaine de mètres, nous le croyons perdu. Les éclatements se font de plus en plus pressants autour de lui, nous pouvons apercevoir le pilote qui nous fait des signes de la main, les boches venaient d'être repérés par lui dans leur avace. Il nous était impossible de nous tenir en liaison avec l'arrière que la nuit, nos deux pigeons seul moyen de communication avec l'Etat Major taient partis cinq jours avant. L'avion fait plusieurs tours, les fusils boches crépitent ainsi que leurs mitrailleuses nouvellement installées dans leur terrain conquis ; l'aviateur ouvre lui-même le feu à l'aide de sa mitrailleuse et survole les trous d'obus où sont terrés les boches. Il file et reprend rapidement de la hauteur, il échappe par miracle à un gros fusant noir, qui un instant nous le cache dans son nuage.

  Quelqu'un s'était rendu compte de notre situation, nous étions presque prisonniers, "la tenaille était à demie fermée" et à nos côtés nous avions des boches pou nous emmener rapidement, tout un Etat Major de régiment, puis avec nous l'officier boche et ses hommes qui depuis le matin surveillait l'effet de mon tir! Les boches pouvaient s'élancer à l'attaque du fort de Souville, personne n'aurait pû les en empêcher, nous aurions été exterminés les premiers. Notre Commandant se rendant compte de la "mauvaise tournure" de l'affaire avait détaché un coureur pour passer le commandement de son bataillon à un Capitaine de Compagnie (le Capitaine Lefranc) de la 22e , justement à la partie du front la plus exposée et éprouvée. Quelle idée nous n'avions plus avec nous un Commandant mais un Monsieur prêt à partir chez les boches les mains vides....c'est alors qu'il dit autour de lui à ceux qui voulaient l'entendre, en se frottant les mains : "nous allons faire un petit tour en wesphalie". L'Officier boche qui soit-disant ne comprenait pas le français pour éviter d'être interrogé et était professeur savait donc à quoi s'en tenir. Un poilu sort du trou du Commandant pour nous tenir au courant de ce qu'il venait d'entendre, il en était scandalisé. J'avais à mes côtés une caisse de grenades qui fut vivement ouverte et nous attendions le moment suprême pour défendre notre peau malgré les ordres que nous aurions pu recevoir (mais je suis persuadé sans vouloir nous dire justiciers que toutes les grenades n'auraient pas été dirigées uniquement sur les boches!!) Enfin la nuit arrive, le "commandant" qui n'avait plus de commandement, me charge d'emmener l'officier boche et ses trois hommes au Fort de Souville ; je veux bien!!!... mais à la condition que l'on désarme l'officier boche qui semblait avoir un revolver dans sa poche. Le Commandant me répond j'ai sa parole d'officier allemand qu'il n'est pas armé ; est-ce que cela ne voulait pas au contraire dire qu'il l'était, mais notre "wesphalien" froussard était vraiment naïf, un coureur qui devait m'accompagner et que je ne connaissais pas, un rescapé du 344 lui fait les poches et en retire un pistolet automatique qu'il garde pour lui au grand étonnement du Commandant Lavelle.

  J'arme mon revolver et nous nous mettons en marche. Le coureur aux côtés de l'herr professor, je marche derrière suivi des trois jeunes boches. Notre prisonnier marche la tête haute pour descendre la carrière, mais nous nous apercevons qu'il avait un gros sifflet suspendu à son cou, nous le lui enlevons ainsi que ceux moins brillants des autres boches. Nous reprenons notre marche, au bout de 50 mètres, notre principal prisonnier n'a plus l'air aussi crane, il est souvent courbé quand les obus arrivent vers nous. Il lui arrivera plus d'une fois avant Souville de s'étendre de tout son long sans choisir un terrain propice pour faire un plat ventre. Mon revolver reste continuellement dirigé derrière son crâne, aussi ma cible mouvante m'oblige à faire de la gymnastique ; d'autant plus que derrière moi j'ai trois oiseaux qui se cramponnent tellement au pan de ma veste qu'ils m'étranglent à demi. Ils ont peur d'être abandonnés en cours de route. ils marchent vers la libération et ne voudraient pas être obligés de faire demi-tour dans le cas où un obus viendrait à nous immobiliser. Au cours d'une chute du lieutenant boche, le voilà qui ne se relève pas, nous le pensions blessé, mais il avait simplement perdu ses lunettes! Au moment de se relever il met la main dessus. De temps en temps mon collège ralentissait sa marche pour me dire "si on le tuait?" voulait-il comme beaucoup faire sa collection d'insignes ou simplement se débarrasser de cet oiseau qui ralentissait notre marche en exposant notre vie doublement. Enfin nous arrivons au sommet de la côte, dans l'obscurité, nous devinions l'approche du Fort de Souville, quelques fusées derrière nous montrent des corps étendus un peu de tous cotés. Aussitôt nous butons dans des corps, je pensais souvent à l'agent de liaison transpercé parti la nuit d'avant à l'aventure !....

  Un amas de pierres que nous contournons nous indique que nous sommes au but, mes trois boches accrochés à moi et marchant en file indienne me donnent chaud, j'étouffe et c'est avec plaisir que nous découvrons l'entrée du fort. Un trou et aussitôt un escalier très incliné descendant dans un brouhaha et un éclairage des plus intenses, à notre droite un ventilateur pour renouveler l'air du bas, tourne avec bruit. Nous sommes abasourdis, on se serait cru transporté dans une salle de music'hall avec jazz-band au cours d'une revue à grand succès. Nous avions tous la gorge sèche et nous étions rouges. Les trois fritz ne cessaient de me dire trinken ! trinken ! eux aussi mouraient de soif et n'avaient confiance qu'en leur sauveur. Au bas de l'escalier nous sommes au milieu de ce monde rappelant un peu un marché arabe. Tout le monde parle, les infirmiers vont de tous côtés, des ordres sont donnés, des blessés ont leur fiche d'évacuation et attendent la camionnette américaine pour partir. Nous trouvons ensuite dans un autre pièce tout un État-Major d'officier, de la division et de l'armée. Je réussis à faire donner à boire à mes trois jeunes boches, mais l'on oubliait que j'avais aussi soif qu'eux. Je trouve enfin un peu d'eau pour me désaltérer à mon tour.

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