24 - MORTMARE de Patrick O'Donovan
Je vous conseille de lire ce magnifique poème à tête reposée ( à haute voix c'est pas mal). C'est un magnifique hommage aux hommes morts ce jour là et surtout pour ces jeunes hommes "d'en face"...
Hommage du 323° Régiment d'Infanterie à son frère le 206° qui repoussa héroïquement les attaques de la Garde Impériale prussienne.
MORTMARE
Traçant son sillon d'or au ciel, une fusée
A jailli tout à coup et là-haut s'est posée
La boule lumineuse aux reflets éclatants
Grâce auxquels nos soldats pendant quelques instants,
De la leur, peuvent voir la tranchée ennemie.
Ce signal aussitôt fait cesser l'acalmie
Et plus précipité, le long crépitement
Semble de droite à gauche aller rapidement.
Sifflant avec fureur et vrillant l'air, les balles
Tantôt isolément et tantôt par rafales
Tissent au ras du sol un terrible filet,
Sans cesse en mouvement, toujours renouvelé.
L'une brise un créneau près d'un factionnaire ;
En claquant comme un fouet l'autre pénètre en terre;
Une troisième fait tomber dans le passé
Un homme sur le front duquel elle a laissé
L'empreinte de la mort, rouge et toute petite.
Des points éblouissants, dans la nuit qui s'agite
Explosent tour à tour, et, du noir firmament,
Vers le lieu du combat descendent lentement,
Inondant de clarté toute l'Infanterie,
Décrivant un grand arc d'étincelles perlé,
Au dessus de la ligne allemande est allé
S'épanouir au ciel en une énorme grappe
D'un beau rouge écarlate, et, chaque pièce frappe
L'écho qui répondant de partout à la fois,
Propage du canon la formidable voix.
Sifflant, ronflant, geignant, les obus se succèdent
Et vont porter la mort dans les abris qui cèdent,
Dans les rangs ennemis, dont les hommes fauchés
Grossiront les monceaux de corps humains hachés.
Les prussiens aussitôt surpris par l'avalanche
Lancent des signaux verts ; sur le champ se déclenche
Le feu de leurs canons, sur les nôtres pointés,
Dont les gueules d'acier crachent de tous côtés
Et la haine et la mort en gerbes de lumières.
Les bois de la Sonart, du Jury, de Remière,
Le village qu'était hier encore Seicheprey,
Les bois de Mortmare et la côte de Flirey,
Sont constamment zébrés de clartés fugitives ;
Tandis que plus nombreux, dans leurs courses natives,
Les obus vont parmi tant de destruction
Dans un tombeau commun et sans distinction
Étendre les guerriers. Dans une lutte il semble
Que le ciel et l'enfer soient déchaînés ; tout tremble,
Tout craque, tout gémit ; les bois boulversés
Sont encombrés partout des arbres fracassés ;
Un tonnerre effrayant déchire l'atmosphère
Et du chaos mouvant jaillit partout la terre.
Insolente la mort éclabousse les cieux
En projetant du sol des débris odieux.
La garde impériale à travers la fumée
Progresse lentement ; cette superbe armée
Dédaignant le danger avance en rangs serrés,
Sans que jamais les uns des autres séparés
Soient saisis par la peur ou par l'incertitude ;
Dès qu'un homme chancelle, avec exactitude
Le suivant le remplace en avançant d'un pas,
Et s'il vient à tomber, il ne manquera pas,
Un troisième à son tour surgissant de derrière.
Combien d'entre eux déjà gisent dans la poussière!
Le sang gicle partout, les menbres arrachés
Retombent au hasard, et ces hommes tachés
De boue épaisse et rouge et noicis par la poudre
Traversant un enfer d'horreur, de feu, de foudre,
Sont un affreux blasphème à la création.
Leur cruel empereur veut la position
Vers laquelle avec rage il dirige ses forces ;
C'est la quinzième fois que ces soldats s'efforcent
De briser aujourd'hui la muraille d'acier
Que devant nos canons forme chaque troupier
C'est la quinzième fois que leur terrible attaque,
Prononcée à travers une fumée opaque
Reste vaine au milieu de leurs morts entassés.
Malgré leur fier courage ils ne sont point passés.
Et ceux qui survivent à l'horrible mitraille
S'éloignent en courant sur le champ de bataille,
S'éclaircissent encore à chaque pas qu'ils font ;
Et leur nombre plus faible à mesure qu'ils vont
S'affaiblit jusqu'au bout de leur triste retraite.
C'est fini. Maintenant le grondement s'arrête ;
Des signaux, dans le ciel le dernier point à luit.
Tandis que plus épais le voile de la nuit
Cache aux yeux éblouis les horreurs du carnage,
Nos soldats plus joyeux et les leurs plein de rage,
Au fond des longs boyaux prennent la faction,
Prêtant aux moindres bruits très grande attention.
Comme après un orage, en un demi-silence
Qui repose les nerfs, le calme recommence
Troublé seulement par le bruit continuel
D'arbres s'égouttant en leur rythme habituel ;
Ainsi quand du canon la forte voix s'est tue,
Seul, le crépitement des fusils s'accentue.
Devant nous sont là-bas des morts et des blessés
A moitié disparus, dans les champs défoncés,
Au hasard de l'obus qui labourant la terre,
En découvrant un mort couvre l'autre et l'enterre.
Des hommes ce matin bien portants, grands et beaux
Gisent déchiquetés en pâture aux corbeaux ;
Et parmi ces amas de chairs toutes sanglantes
S'élèvent des soupirs et des voix expirantes.
Pendant que devant eux, tout autour et contre eux
Des corps sont agités en soubresauts nerveux,
Spasmes de l'agonie ou de grande souffrance,
Des blessés dont s'enfuit la dernière espérance,
Dans la mort elle même emprisonnés vivants,
Ne peuvent remuer, et, rares survivants,
Sachant que tout secours pour eux est impossible,
Ils restent là, voués à cette fin terrible
Et sentent dans le sol s'infiltrer lentement
Leur sang qu'à fait verser l'empereur allemand.
Patrick O'Donovan 323° régiment d'Infanterie
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